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Est-ce un tort d’avoir raison trop tôt ? Quand Danièle Novello-Floc’hlay lance en 1984 l’association « Made in Breizh », le coup est tout près de partir. Elle dépose cette marque collective, reçoit dès décembre le soutien de 11 entreprises de tailles diverses et comprenant des sociétés réputées (la Brittany Ferries, Brit Air, Les transports Le Calvez, HyperRallye, Escarmor, Phytomer, la Sill, la Générale des Farines etc.). Au total, 35 entreprises vont peu ou prou porter cette initiative. Des membres d’honneurs prestigieux (Eric Tabarly, Bernard Hinault, Jean-Loup Chrétien sont d’accord pour associer leur image au lancement de cette marque territoriale.

Or, pour de multiples raisons, la démarche n’aboutit pas. Certains considèrent que le lancement d’une marque collective est une utopie, que cela ne marchera pas. D’autres jugent que le mot « Breizh » est trop audacieux. Il est pourtant employé par des entreprises, associations et sociétés (Coop Breizh par exemple existe depuis 1957, Div Yezh Breizh est lancée en 1979, etc.). Mais de là à en faire immédiatement une marque collective, la marche apparaît trop haute…

logo ultima 001Comme si deux courbes se croisaient, le collectif « made in Breizh » s’essouffle dans les années 2000 au moment précis où le mot Breizh est de plus en plus employé. Comme un symbole, TV Breizh est lancé le 1er septembre 2000 et ouvre une nouvelle décennie d’un usage renforcé. Premier altercola français, le Breizh Cola est commercialisé en 2002 par la brasserie Lancelot via sa filiale Phare Ouest. A l’aise Breizh, marque lancée en 1998, dépose son célèbre logo en 2003.L’offre de téléphonie Breizh mobile apparaît en 2004. La Breizh Touch suscite du 20 au 23 septembre 2007 l’opération « Breizh sur Seine » et se termine par une inoubliable « Breizh Parade » voyant défiler 3000 danseurs et sonneurs sur les Champs Elysées. Ces emplois plus médiatisés sont accompagnés d’autres dépôts de marques, recensés sur l’INPI (l’Institut National de la Propriété Industrielle).

L’étude de cette base de données mériterait une analyse approfondie étudiant les noms déposés, réalisant au moins une typologie des usages (ici industriels, là ludiques ou culturels, plus loin commerciaux ou événementiels). Notre analyse succincte constate un progrès dans les années 1990 et la présence de 200 marques comprenant le mot Breizh en 2000.

Or, il en existe 375 en 2010.  On en dénombre surtout … 692 en ce 18 juin 2016 ! L’usage du mot Breizh s’envole. Son emploi s’accélère dans les médias (France Bleu Breiz(h) Izel depuis 2000, BrezhoweB, Bali Breizh, génération Breizh), dans la culture (Kevre Breizh existe depuis 2009), l’événementiel (la fête de la Bretagne / gouel Breizh), dans les nouveaux usages alimentaires (Breizh Algae), pour lancer de nouveaux produits (Breizh Limonade, Breizh Foie gras, Breizh Chocolat…).

La seule appellation « made in Breizh » regroupe désormais 8 marques identiques ayant des déclinaisons, protections ou extensions concernant ici les viandes et poissons, là les fruits et légumes (déposée récemment par Saveol), plus loin la bijouterie ou les sodas… L’usage s’amplifie notamment dans le domaine du sport (la Sport Breizh pour le cyclisme, Ironbreizh pour le triathlon, les magasins Breizh Riders pour la moto ou récemment le surf). On l’observe aussi dans la restauration (Breizh Café), l’informatique (Breizh Chrono, Breizh PC), la création d’entreprises de services créant des sondages et enquêtes sur les cinq départements (Breizh Insight), l’apparition de marques décalées (Breizh Punishers). Des entreprises ou associations deviennent aussi de plus en plus bilingues en traduisant leurs noms, en communiquant avec une double appellation. « Produit en Bretagne » lance le réseau en 1993 et affiche de plus en plus clairement son bilinguisme (Produet e Breizh) en signant en 1999 la charte Ya d’ar brezhoneg afin d’employer concrètement la langue bretonne et de la promouvoir par de nombreuses actions. « Agriculteurs de Bretagne » signe aussi cette charte en 2015 et devient aussi « Labour-douar e Breizh », éditant par là-même différents supports et recrutant une chargée de communication bretonnante. D’autres associations comme Breizh 5/5 annoncent clairement la couleur. Le mouvement est donc très riche. Il aide parfois concrètement à la promotion du breton (par exemple avec les associations précédentes) mais pas toujours. Par exemple, par manque de certification, des autocollants ou produits « Made in Breizh » sont aussi directement fabriqués en Chine. On est ainsi dans une période intéressante où le terme Breizh est jugé utile en terme de marketing, permet parfois de rencontrer le succès (le Breizh Cola, à l’aise Breizh, etc.), de mettre la Bretagne en marche. Un mot porteur ? Comment garantir que ce mot ne soit pas tué par des pratiques prédatrices ou hors-sol ? Comment aujourd’hui mieux l’associer à la valorisation concrète de la langue bretonne ? Comment aujourd’hui le certifier en créant des emplois et une dynamique culturelle ? La démarche de Danièle Novello-Floc’hlay était clairement avant-gardiste. Elle mériterait aujourd’hui qu’une équipe interdisciplinaire unissant des scientifiques, des acteurs institutionnels et associatifs, du monde culturel et linguistique, des communicants et chefs d’entreprises… s’empare sérieusement du sujet.

Le Comité de Rédaction