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Dossier 3. Kant bro kant giz ! Cinquante nuances de Gwenn-ha-du…

Le dossier 3 de construirelabretagne.bzh plaide pour un équilibre territorial breton. En l’espace d’un demi-siècle, l’économie bretonne a connu une révolution qui s’est accompagnée de déplacements de populations considérables, traçant de profondes lignes de  fractures entre  ville et campagne, Argoat et Armor, Est et Ouest, Nord et Sud…  La richesse du maillage territorial breton, qui est une originalité précieuse,  est un héritage menacée. Ici les nuisances des congestions urbaines, là les déserts médicaux et demain les no man’s land logistiques… Comment la Bretagne peut (re) devenir un territoire de solidarités ? Comment valoriser les singularités et les complémentarités territoriales ? Comment réaffirmer l’économie productive sur les littoraux ? Comment concilier le rôle majeur des métropoles avec la vitalité des petites cités ? Bien vivre, mieux vivre en Bretagne. Rien de moins ! N’est-ce pas la clé du développement durable ?

 

DOSSIER 3. L’équilibre territorial breton.

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Par définition, un Conseil régional a pour mission d’accompagner et d’aider chaque citoyen breton, que ce dernier habite Rennes ou Brest, Quimper ou Saint-Brieuc, les petites villes de Dol-de-Bretagne ou de Landerneau, les bourgs de Plougonver ou de Plouër-sur-Rance, les hameaux  de Coatmeur ou de Kermaria,  les fermes de Bellevue ou de Kêrglaz… La mission d’un Conseil régional est donc de bâtir le collectif, de mutualiser les risques, de favoriser l’équité, de dynamiser surtout les liens économiques à l’échelle d’un territoire pertinent pour créer de nouvelles solidarités. Or, les évolutions actuelles conduisent à la présence de fractures territoriales toujours plus vives. Comment, le nouveau Conseil régional -dont la mission est ici cruciale- peut-il restreindre ces déséquilibres et favoriser le « vivre-ensemble » ?

Diagnostic

Depuis plus d’un siècle, les oppositions régionales n’ont eu de cesse de se renforcer. En 1954, plus de la moitié de la population active est paysanne et exploite des petites fermes familiales pratiquant la polyculture. Or, la population agricole ne compte plus que 3 % des actifs qui occupent et aménagent les deux tiers de l’espace. En quelques décennies, la population bretonne s’est donc puissamment tertiarisée et urbanisée. 1 bourgSi 20 % des Bretons vivent en ville dans les années 1920, le chiffre avoisine  désormais les 75 % (essor des urbains et surtout des périurbains). Certes, il y aurait beaucoup à dire sur les classifications urbanophiles de l’INSEE. En se basant sur les migrations de 40 % des actifs, elles intègrent dans ce zonage des aires urbaines l’ensemble des habitants de communes parfois très lointaines et très peu peuplées, quand bien même l’essentiel de la population et des modes de vie sont proches de la ruralité. L’on ne cesse de parler des « métropoles » mais moins d’un tiers des Bretons vit dans des grandes villes. L’originalité et la variété du territoire breton sont donc minimisées. Elle est pourtant en France exceptionnelle avec un modèle opposé à celui de « Toulouse et du désert toulousain ». La pluralité incomparable des divers types de groupements et le rôle fondamental joué notamment par les villes moyennes, petites et les bourgs, imposent de s’éloigner d’une vision métropolitaine exclusive qui laisserait de côté l’essentiel de la population.

2 littoralParallèlement, et c’est parfois corrélé, les populations bretonnes se sont beaucoup littoralisées, surtout depuis les années 1960. Evoqué par Jean Viard, le « désir et tropisme des rivages » n’a eu de cesse de se renforcer, surtout sur la côte Sud. Le mouvement suscite le vieillissement de la population permanente, l’occupation des communes par des retraités aisés, l’essor des conflits d’usages, le renchérissement du foncier et l’exclusion des jeunes en zone « rétrolittorale ». Cette réalité, très vive dans le golfe du Morbihan se constate aussi dans le pays malouin et autour de Quimper. Elle est un peu moins présente sur la côte nord-ouest, même si on y constate aussi la présence de communes littorales dépeuplées dix mois sur douze. A l’inverse, les pays les plus enclavés du Centre Bretagne ont vu leur population décroître avec des évolutions parfois alarmantes, mais pas toujours.

Un autre point clé est le renforcement des inégalités entre la « Haute » et la « Basse Bretagne », sujet majeur sur lequel nous reviendrons (dossier 11). Alors que l’on comptait 450 000 habitants de moins dans la partie occidentale en 1851, le différentiel dépasse désormais les 1,3 million d’habitants et tend à s’accélérer. Certes, toute la Bretagne est attractive grâce à un solde migratoire positif (+30 000 habitants environ par an). Toutefois, des entreprises logistiques se déplacent vers l’est, les dynamiques démographiques sont plus vives dans la partie orientale. A l’inverse, on assiste à des fermetures de classes et à la fragilisation renforcée de certains territoires, tout particulièrement dans le Finistère.

Ce bilan simplifié mène donc à des déséquilibres territoriaux renforcés (villes-campagnes, armor-argoat, nord-sud, est-ouest…). A l’aube des élections régionales, jamais les enjeux de l’aménagement du territoire breton n’ont été aussi forts. Comment limiter ces déséquilibres accrus créateurs ici de congestion et de compétition pour l’espace, ailleurs –pour simplifier- de déserts médicaux ? Alors que les fractures françaises ne cessent de croître, notamment en lointaine couronne périurbaine (C. Guilluy), comment faire en sorte que la Bretagne valorise à l’inverse son originalité et équilibre territorial pour devenir la terre de toutes les solidarités ?

 

Quel programme ?

La Bretagne a sur ce sujet le potentiel pour créer un programme parfaitement original et démontrer, preuves à l’appui, que l’équilibre urbain est la clé d’un développement maîtrisé. Il limite les phénomènes d’exclusion inhérents à la métropolisation, valorise la diversité et l’économie de proximité. Il est le meilleur levier pour limiter la ségrégation socio-spatiale, générationnelle, favoriser l’économie responsable et endogène. Sans être évidemment coercitif, le canevas doit simplement permettre aux gens de vivre là où ils le souhaitent, que leurs choix soient ruraux ou urbains. La région a sur ce sujet une responsabilité essentielle pour ouvrir l’éventail de l’habitat des possibles en limitant les inégalités actuelles de l’aménagement des territoires.

Dans ce cadre, 5 stratégies semblent vertueuses et à animer :

1. La création et l’animation d’un « plan territorial breton ». Il ne s’agit surtout pas de créer une structure territoriale de plus, il en existe assez comme cela. A l’inverse et de manière frappante, il n’existe pas pour lors de véritable outil de réflexion et de mise en complémentarité des dynamiques territoriales. Du coup, chaque ville y va de son projet, de ses initiatives, en oubliant joyeusement le positionnement et les projets des autres. La concurrence, notamment urbaine, l’emporte donc trop souvent sur des actions partagées. Ce « plan territorial breton » pourra être une fusée à trois étages organisée principalement autour des pays puisque cet échelon correspond le mieux à la vie quotidienne des populations 3 carte loi voynet(« la France à 20 minutes » évoquée par P.Benoit). A cette échelle, le premier volet assurera au maximum une équité d’accès aux différents services. Le budget alloué aux Contrats de plan région-pays sera renforcé. Sur la période 2004-2010 il est de 388 millions d’Euros (266 millions par la région et 122 millions par l’Europe). Il s’agit certes de la somme régionale la plus importante de ce type en France. Comme on l’a évoqué cette somme globale (en gros 55 millions par an pour l’ensemble des pays) est toutefois à relativiser au regard de celles libérées pour les grands projets. Afin de garantir les solidarités, ces fonds alloueront encore plus qu’aujourd’hui des ressources supérieures aux pays les plus pauvres. Même si la région ne dispose sur ce sujet serviciel que d’un pouvoir limité, elle pèsera au maximum, dès que ce sera possible, pour créer cette équité d’action (santé, éducation, équipement numérique etc.). De même, elle encouragera dans ces différents pays l’économie endogène qui apporte aux populations des dividendes et des productions maîtrisées (dans le domaine de l’énergie, des circuits alimentaires etc.). A l’inverse, la deuxième stratégie sera de spécifier le profil économique de chaque pays autour d’une ou deux activités claires. Cette évolution s’opère déjà de façon plus ou moins naturelle (la mer à Brest, les télécoms à Lannion et Rennes, les sciences du vivant à Vannes, les industries mécaniques à Redon, la logistique ou l’agroalimentaire à Loudéac etc.). Toutefois, sur cette économie des filières, on a parfois tendance à éparpiller les deniers avec des opérations qui perdent alors en efficacité. S’il ne s’agit en aucun de « tout miser » sur une activité par pays, on tentera toutefois d’accentuer, un peu comme pour le tourisme, la « patte économique » de chaque pays de façon à ce qu’il tente sa chance sur un ou deux secteurs porteurs et qu’il aura choisi. Cette singularisation par pays renforcera les complémentarités entre les activités au lieu comme aujourd’hui de multiplier les concurrences puisque chacun veut faire un peu de tout, ce qui nuit -on le sait- à la compétitivité. Enfin, si une certaine forme de spécialisation est aujourd’hui gage de performance, spécialité rime aussi avec fragilité (crise ponctuelle des activités etc.). La région mettra donc en place un fonds de solidarité inter-pays pour mutualiser les risques, permettre à des filières et territoires désormais complémentaires et ayant besoin les uns des autres de se soutenir en cas de pépin. Ce plan à trois étages (équité maximale des services et économie territorialisée de la réappropriation, affirmation dans chaque pays et sans exclusive d’une ou deux singularités, fonds de mutualisation des risques) n’est pas une utopie mais une stratégie possible pour coupler l’équité et la performance. Evidemment réalisée sans exclusive, cette opération aurait pour mérite de rendre chaque pays lisible, de lui confier une forme de mission et de challenge, d’organiser enfin des rencontres « actions » à l’échelle régionale entre les différents pays pour renforcer les transversalités.

2. Un second axe majeur sera sur le littoral de privilégier l’économie productive, en lien étroit avec les ressources de la mer. Contrairement à certaines thèses en date du début des années 2000, on constate en effet qu’un tourisme non digéré et l’application exclusive d’une pseudo « économie résidentielle » est une catastrophe pour les territoires. 4 chalutierLes îles bretonnes ont vu leur population être divisée par trois, cinq voire dix en moins d’un siècle et sont désormais inaccessibles aux actifs. De multiples communes littorales ayant fait le choix de la monoactivité touristique perdent des habitants permanents. Ce phénomène s’étend même à des villes moyennes (Paimpol) ou plus importantes. Ainsi, pour la première fois depuis la seconde guerre mondiale, Saint-Malo a perdu plus de mille habitants quand le nombre de personnes payant l’I.S.F était multiplié par cinq. Est-ce là l’avenir de la Bretagne ? La Bretagne doit renouer avec l’économie productive, y compris en ville et sur le littoral, sous peine de perdre son âme. Au-delà d’une vision parfois très tertiaire, il faut aussi inventer des solutions pour que les villes, férues d’activités servicielles, deviennent également des espaces créateurs de ressources (énergie, alimentaire…).  Aujourd’hui, s’il n’y avait pas les territoires ruraux adjacents, quelle serait l’autonomie alimentaire ou énergétique de villes comme Rennes ou Brest ?

3. Dans ce cadre, la stratégie régionale peut être de multiplier les partenariats pour démontrer, preuves à l’appui, qu’il faut en cesser des vieilles oppositions villes-campagnes. La Bretagne a besoin de métropoles qui doivent plus être envisagées de manière qualitative (la présence par exemple de fonctions stratégiques) que de façon quantitative (le regroupement des populations pour atteindre différents « seuils » fixés par l’Etat français). En lien avec les autres villes, Rennes, Brest et Nantes forment comme un trépied excentré d’un territoire qu’il s’agit d’animer. Cette impérative nécessité des partenariats s’écrit à l’échelle régionale. Rennes (Condate) et Nantes ont toujours été prospères lorsqu’elles étaient des têtes de pont d’un pays constitué. Si ces villes précèdent une forme de Connemara, elles perdront leurs situations de carrefour et deviendront des formes de terminus français. Cet élément, qui concerne par exemple les activités logistiques, est tout à fait central. Les « Haute » et « Basse » Bretagne ne peuvent qu’avancer ensemble puisqu’elles ont besoin l’une de l’autre pour survivre et prospérer. Le Conseil régional fera tout pour transcender ces divisions ridicules et pénalisantes, à moins que chacun ne souhaite se tirer une balle dans le pied.

4. Partant, le Conseil régional fera le choix d’aider davantage des structures qui mutualisent au lieu de cliver, qui diffusent des bonnes pratiques au-delà de la technocratie, notamment lorsque ces organismes fonctionnent sur les cinq départements bretons. Dans le monde rural, on pense notamment au réseau « Bruded » qui est un relais d’innovation et d’expérimentation originale concernant des petites communes. On pense aussi à la conférence des villes de Bretagne, réseau unique en France unissant des petites cités à quelques mastodontes et qui permet au moins de se parler.

5. Enfin, et peut être surtout, le Conseil régional doit être persuadé et afficher sa conviction que l’innovation territoriale ne procède pas uniquement des « métropoles ». Le groupe Yves Rocher à La Gacilly est-il ringard ? On constate scientifiquement que les espaces les plus performants et innovants sont loin d’être uniquement localisés là où les idées reçues les placent (la petite ville de Vitré a le plus faible taux de chômage en France, les initiatives du Mené ou du Coglais démontrent l’aptitude au développement endogène…). La diversité bretonne est notre chance. Bravo, il existe des métropoles. Bravo, il existe d’autres territoires ayant d’autres fonctions et singularités. Le nouveau Conseil régional n’aura de cesse de renforcer ces complémentarités pour éviter de cliver, d’opposer. Son rôle sera de démontrer, preuves à l’appui, que la Bretagne a besoin de l’ensemble de ses territoires et de ses habitants pour se développer.

En conclusion, sur cette question cruciale de l’équilibre territorial, il semble exister un plan global  « à trois étages » pour s’en sortir, plus précisément des actions concrètes à opérer pour valoriser les singularités territoriales (par exemple, la lutte contre la « monoactivité » touristique  sur les littoraux n’a rien à voir avec la valorisation inverse des projets touristiques du Kreiz Breizh, concernant par exemple la Vallée des Saints). L’intelligence régionale peut ainsi nuancer la gamme de ses actions. Loin des querelles de chapelles, son rôle central et stratège doit être d’animer et de valoriser la diversité des territoires, notamment grâce à une action renforcée sur les différents pays qui finiront sans doute, à terme, par fusionner avec les communautés de communes. La région peut être fédératrice, sinon fédérale. Sa finalité est moins de dicter un ordre de marche que de favoriser l’éclosion et la fertilisation des divers territoires bretons.

 

Le Comité de Rédaction

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