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Dossier 8. La Bretagne numérique contre les prédateurs du Web ?

Le dossier 8 de construirelabretagne.bzh étudie le potentiel de la Bretagne numérique. Plutôt bonne élève en l’occurrence, puisque les T.I.C pèsent 15% du PIB breton. La décision d’apporter la fibre optique à 100% des ménages bretons en 2030 est un signe fort, qui ouvre des perspectives innovantes en matière d’aménagement du territoire. D’ores et déjà, le pôle de compétitivité mondial Images & Réseaux contribue au rayonnement international de la Bretagne. Le développement sauvage du WEB n’est toutefois pas sans danger. On sait que dans l’hôtellerie, 30% de la marge sont captés par des sociétés « offshore »… Pourquoi ne pas reprendre la main en créant une Breizh Valley éthique ? Nous disposons pour ce faire d’un atout maître : le point bzh, signature des acteurs bretons sur la toile. A quand la plateforme hotelsdebretagne.bzh ? Territorialiser internet, c’est aussi investir dans le stockage et la protection des données en Bretagne. Une nouvelle aventure bretonne s’ouvre ici pour de jeunes développeurs bien formés et sensibles à une économie plus humaine. On imagine aussi bien des actions de solidarité intergénérationnelles pour aider les laissés-pour-compte de la fracture numérique. Le rêve n’est pas ennemi du pragmatisme quand le numérique entre en scène !

DOSSIER 8. La Bretagne numérique.

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La région Bretagne est aujourd’hui singulière dans le domaine numérique. Elle est deuxième au plan national dans le domaine des T.I.C (11,5 % des emplois français, 15 % du P.I.B breton). Actif sur les cinq départements, le pôle de compétitivité mondial Images § Réseaux est devenu incontournable au plan international, par exemple dans le domaine de l’image. Images et réseauxDe même, la région administrative Bretagne a sur ce sujet des actions tout à fait emblématiques incarnées notamment par le programme « Bretagne Très haut débit » qui amènera d’ici 2030 la fibre optique à 100 % des ménages bretons. Ce niveau de développement est tout à fait emblématique car la région n’avait aucune « vocation » pour devenir une « terre des télécommunications ». Rappelons-le, en 1950, la moitié des fermes n’a pas l’électricité. Douze ans plus tard, en juillet 1962, la première image en direct de l’histoire de l’humanité apparaît à Pleumeur-Bodou ! Cet essor exceptionnel doit beaucoup au C.E.L.I.B et à son président René Pleven qui était, avant de rejoindre De Gaulle à Londres  Directeur Europe de l’entreprise américaine Automatic Telephone Company… Mais de multiples autres acteurs du passé (Pierre Marzin) ou d’aujourd’hui (Jean-Yves Le Drian concernant la cyber-défense) ont agi ou agissent concrètement pour que la Bretagne soit en pôle-position sur ce sujet majeur. Comment désormais, engranger les bénéfices d’une situation d’ores et déjà favorable ? Comment faire de cet enjeu de société un levier pour poursuivre cet élan qui, dans les années 1950, était tout simplement inimaginable ?

 

Diagnostic

Sur les dernières décennies, le bilan concernant l’essor des T.I.C en Bretagne est tout simplement exceptionnel. Partie de rien, la région est devenue un fleuron international sur ces technologies porteuses avec notamment l’essor des pôles de Rennes, de Lannion ou de Brest. Initialement, il aura vraiment fallu une « ambition régionale » pour sortir du marasme et l’on peut rappeler le rôle de visionnaires qui ont obtenu la décentralisation du CNET à Lannion, de grandes écoles à Rennes ou Brest, de technopôles et d’activités de plus en plus spécialisées et performantes sur le territoire breton : Rennes Atalante, Anticipa, etc. Sur ce sujet, la conviction des décideurs bretons ne s’est jamais érodée, même si certains choix ont été, à des moments, très « technophiles » alors que la création des valeurs se déplaçait de plus en plus vers la production de contenus. 02-visioconférenceMalgré cette limite, le bilan est objectivement très bon. Le pôle mondial de compétitivité Images § Réseaux fut labellisé dès 2005. Différents plans numériques, tant industriels qu’au bénéfice des populations, ont été réalisés avec succès en favorisant la pluralité des aménagements et équipements. En choisissant en 2011 d’étendre la fibre à tout le territoire, le Conseil régional a réalisé un choix déterminant à la fois de portée économique et sociale. En effet, le marché privé « rentable » ne concernait que 40 % de la population bretonne et une infime portion de son territoire (pour l’essentiel les aires urbaines et quelques petites villes telles Vitré, Fougères, Guingamp etc.). Mais le volontarisme régional permettra de relier 60 % des habitants qui, sinon, auraient été oubliés. Cet élément est crucial car il permettra à des entreprises et des acteurs disséminés d’avoir le très haut-débit, offrira des chances égales à tous. A l’horizon 2030, cette innovation n’imposera pas comme aujourd’hui certaines localisations nécessairement urbaines. Cette décision peut constituer un tournant dans l’aménagement du territoire d’autant que des usages (le télétravail, la visioconférence) et des techniques évoluent (les imprimantes 3D), même si l’on mesure difficilement aujourd’hui les effets exacts  de ces innovations sur la localisation des hommes et des entreprises.

Quel programme ?

Il est délicat d’envisager des stratégies sur un secteur si névralgique, évolutif et complexe. Qui aurait pu, il y a 20 ans, imaginer l’influence actuelle de ces nouvelles technologies ? Elles impactent désormais de façon directe et indirecte la totalité de nos actes, concernent toutes les sphères de la vie quotidienne. Des révolutions sont en train de s’opérer dans le monde des activités commerciales ou culturelles, de la logistique, des loisirs, des banques, du transport, de la santé… et changent chaque jour la donne. Comment une région forte sur ces activités peut-elle, de manière paradoxale, ne pas être déstabilisée par ces dernières ? Comment, à l’inverse, abattre une carte spécifique permettant de conforter voire de précéder ces évolutions majeures ?

  1. Si la diffusion des TIC engendre des innovations prodigieuses et il y a peu inimaginables (Internet etc.), elles ne sont pas dénuées de risques. Le plus important d’entre eux réside dans la dématérialisation des données qui entraîne le « détricotage » des territoires. Aujourd’hui, des sociétés internationales et localisées dans des paradis fiscaux (elles ne payent pas ou peu d’impôts en France), siphonnent des sommes colossales en échange de référencements. On estime par exemple que booking.com avale 30 % du chiffre d’affaires de l’hôtellerie bretonne car l’appartenance au site est pour lors indispensable pour avoir des réservations. La dématérialisation des données bouleverse et court-circuite l’économie des territoires. En perdant 5 % de ses activités courriers par an, le groupe La Poste cherche dans l’urgence de nouvelles missions pour ses 70 000 facteurs. De nouveaux marchés apparaissent mais peinent à être rentables car les entreprises privées en accaparent les parts lucratives. De multiples services et commerces de proximité (agences de voyages, agences immobilières, librairies, banques…) sont balayés ou menacés par la présence et l’offre de services en ligne. La monétarisation des données individuelles porte atteinte à la vie privée. Elle se fonde sur la marchandisation des données personnelles pour proposer de nouveaux biens (publicités par exemple) ou offrir de nouveaux « services » (dans le domaine de la santé notamment). Si des offres permettent parfois de limiter des intermédiaires devenus inutiles et restreignent les frais des citoyens, elles reposent aussi pour l’essentiel sur des modes peu éthiques qui font fi des données personnelles (on peut transmettre comme actuellement aux Etats-Unis votre vulnérabilité sanitaire aux groupes d’assurance et cela entraîne l’envol de vos prestations santé). De multiples garanties éthiques sont oblitérées en échange d’un libéralisme parfois sauvage qui, sous couvert d’un service a priori moins onéreux, détruit des fondamentaux de la société, se substitue ou saccage des valeurs humanistes pour le simple profit de valeurs et principes strictement marchands.
    Réagir à cette lame de fond est d’une complexité inouïe. Pour résister à ces prédations voire les déborder, il est tout d’abord totalement exclu d’avoir une position réactionnaire, exigeant un retour vers un « bon vieux temps » qui est de toute façon obsolète. La diligence n’a jamais rattrapé le chemin de fer. Cette remarque est essentielle pour une région bien placée sur ces activités. L’enjeu est donc de courir plus vite, de déborder ces actions léthifères par l’affirmation d’autres pratiques, d’une autre éthique. En raison de certaines valeurs portées par les habitants (dossier précédent), la Bretagne ne pourrait-elle pas être une forme de laboratoire pour la création d’un web humaniste, d’une « Silicon ou Breizh Valley » éthique ? Le propos peut sembler saugrenu. Il planterait toutefois le drapeau sur l’affiche d’un web humaniste et territorialisé, créé à l’opposé des stratégies libérales ambiantes, démontrant preuves à l’appui que la reterritorialisation des usages Internet est la clé pour nos sociétés de demain.
  2. Pour ce faire et avec ses multiples compétences scientifiques ou industrielles, le pays peut créer ce laboratoire d’un « Internet territorialisé ». Les problèmes de cette désintermédiation des données se posent en effet partout dans le monde. 4000 premiers enregistrements de l'extension Internet .bzhToutes les collectivités sont désarçonnées face à ce tsunami international qui lamine les emplois nationaux ou régionaux au bénéfice pour simplifier des « Gafa » (Google, Apple, Facebook, Amazon…). La Bretagne, avec son identité, ne pourrait-elle pas initier un contre-modèle ? Devenir la région pilote et expérimentale se[JO1]  positionnant sur ces enjeux ? D’ores-et-déjà, le Conseil régional a permis d’être (sur les cinq départements) la première région française (avec le .paris) à obtenir son nom de domaine et identité numérique. Le « .bzh » est géré par une association et non par une entreprise marchande et l’extension est désormais utilisée par plus de 5 000 membres, entreprises ou sociétés. De même, les Bretons sont Bretons. Ils créent donc des moteurs de recherches extrêmement efficaces (http://Gwenood.bzh) qui fertilisent l’économie endogène en limitant le nombre d’intermédiaires. Ils lancent aussi des systèmes de financements participatifs avec des banques bretonnes, la presse et des groupes d’assurances régionalisés (http://www.kengo.bzh, http://www.gwenneg.bzh…). Ces initiatives sont cruciales mais ne sont parfois pas encore connues et ne forment pas pour lors système. Comme souvent, chacun y va de ses projets sans réelle coordination. La Région, avec une vision, peut devenir l’acteur déterminant.
  3. Ainsi, l’action viserait à une régionalisation maximale des usages et enjeux numériques afin de valoriser les initiatives et de limiter l’ampleur actuelle et grandissante des prédations opérées par ces entreprises sans scrupule. La démarche doit être systémique et concerner toute la chaîne numérique. Tout d’abord, des centres de stockage de données doivent être créés en Bretagne, accompagnés d’une charte régissant le bon usage –et non l’exploitation- des données personnelles. En effet, de grands groupes (dans le domaine de la santé par exemple) sont aujourd’hui obligés de stocker leurs données à l’international et n’ont aucune garantie sur leur utilisation future. 04-gwenoodEnsuite, la Région favorisera au maximum avec le .bzh la territorialisation des usages autour de ce nom de domaine spécifique car éthique. Elle fédérera par exemple les hôteliers bretons pour qu’ils participent à une plate-forme « hôteldebretagne.bzh ». Quand on tapera « hôtel Nantes » ou « hôtel Brest », on tombera certes sur booking, mais si on s’organise bien « hôteldebretagne.bzh » sera aussi en tête de gondole, avec rappelons-le, une gestion associative qui n’est pas là pour prendre le plus d’argent possible aux acteurs économiques. Du coup, les offres financières seraient automatiquement plus intéressantes. N’étant plus ponctionnés de façon abusive à l’externe (parfois à plus de 40 % du prix de la chambre !), les professionnels répercuteraient ces ristournes en interne pour une économie territorialisée en proposant de fait des tarifs moins onéreux (leurs marges seraient supérieures). Il faut donc s’organiser et démontrer, à tous les étages et pour tous les secteurs, que l’animation régionale du Web est un bénéfice collectif. Elle renforce les liens entre les acteurs économiques, diminue des coûts logistiques, initie un Web régional éthique et de solidarité pour éviter, comme aujourd’hui, que l’économie soit toujours plus ponctionnée à l’international. Si la Bretagne parvient à relever au moins en partie ces gigantesques défis (et il existe des solutions), ce savoir-faire s’exportera massivement … à l’international ! La Bretagne, région pionnière et pilote pour un autre Web.
  4. La mise en place concrète de cette idée et de ces actions exportables correspondrait à certaines valeurs bretonnes (dossier 7) et donnerait à la région une magnifique image. Actuellement, les jeunes méconnaissent assez largement la puissance territoriale du secteur (répétons-le, la 2e région française et 15 % du PIB). La mise en œuvre concrète de ces réalités développerait une aventure, une image, créerait un « récit » permettant d’attirer des jeunes développeurs qui seraient très sensibles à ces valeurs alternatives. Open SpaceRappelons qu’au début du XXe siècle, l’image de la Californie était catastrophique (une terre de non-droit, de violence, le tremblement de terre de 1906…). Or, grâce à des stratégies marketing puissantes (le surf, la mer…) et des investissements dès les années 1960 pour attirer les entreprises technologiques, elle est devenue la région la plus attractive au monde. Il y a tout en Bretagne pour une « fabrique d’image » (des paysages fabuleux, l’océan et la mer, les sports nautiques, le vivre-ensemble, la présence d’activités de pointe, la perfection prochaine de l’équipement numérique, la qualité de vie…). La Bretagne peut être la première à jouer « le coup d’après » et développer un web territorialisé et humanisé. Cette ligne directrice n’imposerait surtout pas un mode d’animation pyramidal qui, par définition, s’oppose aux réalités numériques. Il s’agirait à l’inverse de multiplier les partenariats pour le stockage certifié des données, limiter l’essor de la criminalité sur le Web (l’essor du pôle de la cyberdéfense peut aider), écrire un code des bonnes pratiques, permettre surtout à de multiples acteurs de se fédérer autour d’un projet majeur et aux enjeux économiques déterminants.
  5. Dans ce cadre, la Bretagne numérique peut être un enjeu d’affirmation et d’animation de l’ensemble des territoires bretons. Autour du .bzh, une plate-forme majeure déclinée par pays écrira l’économie des territoires en évitant les phénomènes abusifs de marchandisation. Parallèlement, des actions seront menées pour effacer certaines fractures numériques qui, si elles diminuent, existent encore notamment pour les personnes les plus âgées. Aujourd’hui, alors que l’usage est quasiment général chez les jeunes, 51 % seulement des personnes de 65 à 74 ans utilisent Internet et le pourcentage tombe à 27 % pour les personnes de  plus de 75 ans. Or, on sait qu’avec quelques rudiments, cet outil est facile d’accès, pratique pour les personnes âgées (absence d’effort physique), permet via Skype par exemple des liens sociaux renforcés et quasiment gratuits avec des enfants qui vivent parfois aux antipodes. A l’instar de ce qu’a entrepris la Belgique, une politique massive d’apprentissage devrait être menée. De même, les « défavorisés sociaux » sont souvent les « défavorisés du numérique » et il existe une corrélation liant les difficultés d’accès (incapacité d’acheter les équipements ou de payer les abonnements) à la marginalisation sociale. Une action spécifique destinée aux « déracinés du web » devra être menée sans surtout créer une structure ou une institution de plus, mais tout simplement en renforçant les échanges et bénéfices intergénérationnels. Les échanges pourront être marchands (des personnes payant des jeunes pour être formés), porteurs de bénéfices symétriques (quelques cours en échange d’une chambre d’étudiant négociée à bon marché) ou gratuits (le bénévolat pour permettre aux personnes âgées d’avoir accès au numérique). On peut par exemple imaginer le lancement par la région d’une campagne « Ar re gozh » (les vieux en breton) incitant les jeunes à aider les personnes âgées pour s’inscrire dans cet univers.

Au final, l’enjeu numérique est majeur car il peut d’un côté couper les veines de nos sociétés, de l’autre innerver les relations sociales et appuyer l’économie, aider à l’organisation humaine des territoires. Cet enjeu est surtout régional. Avec ces singularités et son potentiel informatique, la Bretagne peut proposer d’autres règles, tenter une chance, « sa » chance, pour construire et initier un web territorialisé réalisé au bénéfice des acteurs régionaux et non de ses prédateurs.

 

Le Comité de Rédaction

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