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Les faits isolent ce que les astronomes évoquent une conjonction des planètes ou mieux, une syzygie. C’est-à-dire l’alignement de trois planètes. Tout commence le 13 février 2008 lorsqu’un Comité interministériel de la sécurité routière (CISR) oblige de façon indivisible chaque Français à avoir un triangle de pré-signalisation et un gilet jaune. Sous peine d’une amende forfaitaire de 135 Euros. A tort ou à raison, on équipe les Français d’un uniforme identique que chacun porterait de façon exceptionnelle et isolé. Et en plus qui se voit.

Neuf ans plus tard, suite à de nouveaux hasards et notamment après l’effondrement du candidat de la droite « à qui la victoire et l’élection étaient promises », une deuxième météorite surgit de nulle part. C’est un nouveau Président qui va recréer l’unité nationale avec, nous dit-on, plein de projets petits ou grands et « une France qui va bouger de partout ». C’est promis, chacun pourra s’y retrouver. Comme pour une route, c’en est fini des voies de droite et de gauche. Une direction commune va amener tous les Français sur le même chemin : en marche.

Et puis voilà qu’il existe la planète oubliée : Paris. Pire. L’hyper jacobinisme français. Dès la première année du quinquennat, Paris reçoit au bas mot 126 milliards d’Euros quand le budget annuel moyen d’une région française est d’environ 1,5 milliard. Dès la première année, la technostructure reprend le dessus et l’hyper centralisme des palais de l’Elysée, de Matignon, de Bercy… fait l’exact inverse de ce qu’il avait promis. Pire, en martelant sans cesse l’indispensable unité nationale, en matraquant partout « la liberté, l’égalité, la fraternité », le pouvoir construit une concentration inédite, une pyramide suprême. C’est à toutes les échelles l’ultracentralisme. Celui des grands corps de l’Etat. La France des riches.

Le ñ de Fañch et le mépris des jeunes de Diwan. Celui du CAC 40 et de ses patrons, dont les salaires et primes, apprend-on la semaine dernière, ont dépassé les 5 millions d’Euros en moyenne. Celui des ors de la capitale, avec tous les soirs ces journaux de TF1 et de France 2 qui nous projettent en arrière-plan l’image d’un pays merveilleux, de Tour Eiffel dorée et de Palais coloriés en rose, en jaune, en bleu, celle des quais de Seine où l’on présente même une fréquentation fluide. Ils sont bien dans leur monde. Celui des métropoles en asséchant les ressources de toutes les autres collectivités territoriales et surtout locales. Celui de la nécessaire « concentration » urbaine alors que tout le monde ne peut vivre au même endroit et qu’en réalité plus on concentre, plus on étale ces lointaines couronnes périurbaines en opposant, comme on l’évoque depuis des années, les riches à ceux coincés dans leurs problèmes et leurs embouteillages. Celui encore de l’hyper concentration des services publics en oubliant la ruralité, voire en la dépeçant des derniers services restants (la maternité à Guingamp).

Et voilà ! C’est la syzygie. L’alignement des planètes. 18 mois après l’élection du Président, la France bouge effectivement de partout. Sauf que ce n’est pas du tout dans le sens espéré et que l’on a construit un immense bazar. C’est un bazar sans chef, sans nom. De « Gilles et John » comme le dit l’humoriste, de façon plus profonde qu’il ne le croit. De Gilles. C’est le Français qui en a ras-le-bol qu’une fantastique devise soit pervertie tous les jours par ceux qui la proclament. Il y croit en cette devise. Il l’a en lui. Alors Gilles enfile comme d’autres « son » gilet, cet objet commun très identifié. C’est celui de « sa » bagnole, souvent celui qui n’avait heureusement pas servi. Et il devient par magie le symbole d’un collectif agrégeant toutes les pannes mais peut être aussi tous les espoirs. De John, c’est l’individu inquiet d’une mondialisation injuste et débridée, de tout et peut-être même de l’écologie, de son avenir, de son pouvoir d’achat surtout, qui en appelle paradoxalement à plus d’Etat tout en le dénonçant. Plus d’Etat mais pas comme cela.

Et c’est précisément le problème. Avec des promesses qui correspondaient à ce que les gens attendaient, la République française a sans doute abattu une de ses dernières cartes, celle d’une réconciliation dépassant les frontières politiques et surtout territoriales. Celle d’une union faisant que les gens avancent ensemble. En marche disait-on. 18 mois plus tard, beaucoup trouvent sur le fond logique une révolte dont actuellement nul ne connaît le destin. Cet échec mérite analyse d’un pays menacé d’une réelle implosion. Ce pays astral jadis d’un « roi soleil », devenu un trou noir en raison de ses excès d’hypercentralité. Pourquoi ? Tout simplement car il n’est plus possible de produire l’exact inverse de ce que l’on raconte. 50 ans après le discours du Général de Gaulle à Quimper et sous peine d’effondrement, il faudra bien parler un jour sérieusement de ce que l’on appelle la décentralisation.  Peut-être plus encore de la mise en place d’une démocratie dans les territoires avec surtout ces habitants qui ont aussi plein d’énergie et sont parvenus à s’organiser à tort ou à raison tout seul, à se prendre en charge. La fin de la monarchie parisienne symbolisée par ce drapeau union d’un Roi et d’une ville. La France par ses territoires et avec ses gens. C’est pour quand ?

Jean Ollivro