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C’est a priori le critère prix qui oriente nos achats. Toutefois, réaliser 20 km pour aller chercher une baguette n’est pas forcément une bonne affaire vu le prix du déplacement. De même, « nos emplettes sont aussi nos emplois » et des critères éthiques ou de qualité sont aussi à prendre en compte (traçabilité et durée de vie des produits pour éviter le gâchis, sécurité sanitaire, emploi local, etc.). Aujourd’hui, « faire ses courses » de manière efficace est donc une opération très complexe. La grande distribution et même les associations de consommateurs de type « Que choisir ? » communiquent uniquement sur les prix à la caisse en oubliant en amont tous les coûts induits, notamment celui des déplacements et parfois du stationnement ou de la livraison. Ils oublient aussi les effets induits de nos achats sur le territoire. Or, l’acte d’achat est sans doute le levier démocratique le plus profond pour orienter la société vers ce que chacun juge légitime (bio, label, emplois territoriaux…). La démocratie est aussi dans le panier de la ménagère.

De fait, une étude un plus poussée permet peut-être de mieux s’y retrouver. Elle donne différentes informations sur l’originalité commerciale bretonne, envisage certaines spécificités régionales, pose enfin quelques questions de fond sur l’avenir ou les opportunités commerciales dans différents territoires (l’avenir des commerces dans les centres-villes, etc.).

L’originalité bretonne : la variété et le maillage de l’offre

Les Bretons n’ont pas toujours conscience qu’ils vivent dans une région très singulière concernant l’offre commerciale. C’est ici bien sûr que sont nées différentes enseignes comme Leclerc ou Intermarché. Mais, en raison d’un polycentrisme urbain et de la présence de multiples petites villes, la Bretagne se singularise aussi par la présence d’une foule de commerces sur son territoire. La Bretagne, ce n’est ni Toulouse et le désert toulousain (la concentration commerciale est très forte dans la ville rose), ni le Massif central où il existe de véritables « déserts commerciaux ».

Par exemple, l’analyse ci-jointe et récente de la géographie des supermarchés et hypermarchés permet de voir qu’aucun Breton ne se retrouve à plus de 15 kilomètres d’une grande surface. Pour les hypermarchés indiqués en rouge sur notre carte (surface supérieure à 2 500 m2), la distance est parfois double (jusqu’à 30 km) et quelques angles morts apparaissent, notamment dans les Monts d’Arrée et surtout au sud-est des Côtes d’Armor. Toutefois, ces territoires disposent alors de supermarchés (surface inférieure à 2 500 m2) voire de petits commerces dont la présence est en Bretagne supérieure malgré les difficultés.


bonBoulangeries en Bretagne (5)Télécharger la carte au format PDF

Ainsi, une autre carte bretonne des boulangeries prouve l’exceptionnel maillage breton, d’autant que les enseignes précédentes proposent aussi ce service. Sur 1482 communes, seules une trentaine de communes n’en disposent pas, notamment au sud des Côtes d’Armor et autour de Carhaix, même s’il existe parfois des dépôts, par exemple lorsqu’il reste des cafés.

bon hypermarché (4)

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Au-delà de sa valeur symbolique, cet achat presque quotidien est ici une forme de droit qui est possible. Or, par exemple dans la Creuse (ce sont en France les habitants en moyenne les plus éloignés des équipements) ou le sud de la Corrèze, il existe des territoires sans aucun commerce. La première boulangerie peut se situer à une demi-heure et de rares tournées de pain comblent difficilement le manque.

Malgré l’essor actuel des déserts médicaux, le maillage des commerces et des services est donc en Bretagne un élément fondamental d’une forme d’équité sociale. La Bretagne est ainsi en France de très loin la première pour le nombre de ses bassins de vie, c’est-à-dire qu’elle est la mieux placée pour offrir de manière équitable « les différents services nécessaires à la vie quotidienne » (INSEE, 2012). Elle est en tête pour le nombre de ces bassins : 164 (133 en Bretagne administrée et 31 en Loire-Atlantique). Ces derniers ont aussi la particularité d’être concentrés puisqu’ils occupent une surface moyenne de 204 km2 (236 en Loire Atlantique) contre près du double en France (380 km2). Enfin, ces bassins sont essentiellement ruraux (138 sur 164) et regroupent 54 % de la population en Bretagne administrative et 39 % de la population en Loire-Atlantique. Malgré la présence de métropoles dont la taille augmente (Nantes, Rennes, Brest), cette originalité limite la présence de déserts démographiques.

Cette démocratie spatiale a évidemment une répercussion sur le prix des achats. Celui qui doit se déplacer en voiture pour acheter à 15 kilomètres sa baguette ne la paie pas 1 Euro … mais plus de 16 ! (16,25 Euros exactement si on s’en tient au barème fiscal de remboursement d’une voiture de 5 CV).  Toutefois, cette contrainte éventuelle de déplacement n’est étudiée par personne. Il serait intéressant d’avoir en Bretagne une étude pour mesurer ce que le maillage d’ensemble des commerces apporte au pouvoir d’achat des ménages. Ces sommes doivent être non pas considérables mais monumentales.

Or, les évolutions récentes ont souvent conduit au renforcement des supermarchés, hypermarchés et zones commerciales en périphérie des métropoles. A l’inverse,  les centres des villes, certains bourgs ou des communes plus rurales voient le nombre de leurs commerces s’affaisser. Cet enjeu est souvent analysé sous un angle affectif (les articles de presse évoquant sous l’angle sentimental tel ou tel village perdant son dernier commerce). Mais il s’agit bien aussi d’un enjeu marchand. Par automatisme, les réalités actuelles d’une localisation supérieure d’implantation des enseignes en périphérie renforcent la circulation automobile. Il s’agit donc d’un choix peu écologique et qui, au final, s’avère coûteux pour le consommateur. Des achats jugés moins onéreux omettent le prix des déplacements dans le coût global du caddy. De même, certaines fermetures commerciales de petits commerces sont parfois envisagées sans prendre en compte le coût social de ces réalités, particulièrement vif pour les personnes ne disposant pas d’une automobile.

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L’enjeu commercial (et au-delà serviciel, social) est donc un enjeu fondamental d’aménagement du territoire. Les grandes métropoles ont aujourd’hui tendance à vouloir accaparer l’ensemble des services publics (les collèges où les lycées par exemple). De même, la plupart des pôles universitaires ont été en Bretagne localisés dans les grandes villes (surtout Rennes, Nantes et Brest) ou en immédiate périphérie (Cesson, Ker Lann) sans par exemple prendre en compte le coût des déplacements étudiants, le prix supérieur de location de logements dans les grandes villes. Les Gallois ont à l’inverse créé de nouvelles universités pour promouvoir l’aménagement du territoire et diminuer les coûts estudiantins. De même, un pays comme la Suisse a décidé de faire du polycentrisme commercial un enjeu déterminant du projet de société. Des initiatives ont par exemple été promues pour transformer de petites gares désaffectées en zones commerciales et aujourd’hui, 70 % des habitants venant dans certaines gares ne prennent pas le train mais y réalisent différents achats.

En Bretagne, il existe de multiples aubaines spatiales pour encourager à cette redécouverte de l’économie de la proximité qui s’avère au final plus écologique et moins coûteuse. Certaines communes l’ont bien compris et ont déployé des stratégies originales pour assurer le maintien de leurs commerces. Parfois, comme à Trémargat, ce sont aussi différents habitants qui se sont directement organisés pour conserver des activités commerciales voire sociales.

A une époque où la baisse des dotations de l’Etat s’accélère, il est évident que ces exemples pionniers vont se généraliser. L’enjeu notamment de la permanence ou non des commerces dans les centres-villes apparaît aujourd’hui comme un enjeu crucial. Leur existence apparaît parfois directement menacée en raison d’une concurrence périphérique exacerbée, de certains choix d’aménagements, également en raison des évolutions numériques qui avivent une réelle tension  (livraison, « uberisation », etc.).

Toutefois, qui s’intéresse sérieusement à ces évolutions majeures ? Où sont, en dehors de ce bref résumé qui soulève diverses questions, les études stratégiques, sérieuses et actualisées traitant ce sujet ? Or, elles révèleraient le pouvoir d’achat réel des ménages. Il faut bien comprendre que l’acte d’achat est un enjeu fondamental d’économie et de société qui dépasse de très loin les variables prix annoncés par les prospectus commerciaux ou les étiquettes.

Déjà, ce prix est loin d’être effectif puisqu’il ne prend pas en compte les coûts annexes. Le prix annoncé sur le prospectus reçu dans la boîte aux lettres n’est pourtant pas du tout le prix réel. Surtout, il omet de dire qu’il existe derrière l’acte d’achat un enjeu fondamental d’organisation de nos sociétés certes marchandes mais aussi humaines et territoriales. C’est ce que nous verrons brièvement dans le volet 2 de ce dossier.

Le Comité de rédaction