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Dossier 2. Animer sans argent et sans baguette, c’est possible !

Le dossier 2 de construirelabretagne.bzh traite de l’animation territoriale et suggère de transformer une grave faiblesse en opportunité.  La Région Bretagne dispose d’un budget ridicule : 26 fois inférieur à celui de la Galice, et plus petit que celui de Rennes et Rennes métropole réunis. Pour exister, il faut donc inventer. Faire valoir le droit à l’expérimentation, en commençant par la mise en place de l’Assemblée de Bretagne pour mettre un peu de cohérence dans une pétaudière d’organisations minuscules jalouses de leurs prérogatives.  Il ne s’agit pas d’institutionnaliser les initiatives citoyennes qui prospèrent sur le territoire, mais au contraire de les encourager et de les libérer, tout en assumant un devoir d’orientation vers une priorité absolu : le développement d’une l’économie partagée et endogène.

 

DOSSIER 2. L’animation territoriale et non son contrôle.

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Le politologue Romain Pasquier parlait de la Bretagne comme d’« un nain politique » et il est vrai que la faiblesse de la régionalisation en France suscite la présence de budgets étriqués. Ainsi, celui de la région Bretagne (1,4 milliard) est inférieur à ceux réunis de Rennes et de Rennes métropole. Il équivaut à peu près à celui du département de Loire-Atlantique et est à peine supérieur à celui de l’Ille-et-Vilaine. La stratégie de l’Etat a été de « diviser pour mieux régner » (J.-L. Guigou). Cette singularité française est essentielle et doit conduire le prochain Conseil régional à être davantage un animateur ou un « ensemblier » des dynamiques territoriales que d’essayer de les contrôler.

Diagnostic

La Bretagne dispose aujourd’hui d’un budget 44 fois inférieur à celui de l’Ecosse et 26 fois inférieur à celui de la Galice, pourtant moins peuplée. En Europe, le centralisme français est une anomalie mais « il faut faire avec ». De fait, quelles sont les stratégies à mettre en place pour valoriser ce maigre bas de laine ? Comment optimiser l’action régionale puisque tout n’est évidemment pas une question d’argent ?

Globalement, depuis sa création en 1982, le Conseil régional de Bretagne est monté en puissance et a joué un rôle croissant et souvent très bénéfique pour l’animation territoriale. A titre d’exemple, on se souvient des cris d’orfraie concernant la régionalisation des T.E.R (2002) ou de la gestion régionale des lycées (1986) car ces opérations limiteraient ici « les liens interrégionaux », là « renforceraient les inégalités scolaires ». Quelques décennies plus tard, plus personne ne remet en cause ces transferts de compétences. En Bretagne, la fréquentation des T.E.R augmente actuellement de 13 % par an (surtout sur les liaisons cadencées intercités et les dessertes périurbaines) et le parc des trains a été puissamment modernisé. Pour les lycées également, la régionalisation a incontestablement généré une économie et une meilleure planification des aménagements. Sur ces sujets et sur d’autres, chacun constate à l’unisson les bénéfices issus d’une régionalisation « augmentée ».
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Cela dit, tout est loin d’être parfait dans cette dynamique régionale. D’une part, si la Bretagne a retrouvé pour la première fois depuis la Révolution française son nom, la réalité institutionnelle française doublonne le pouvoir élu par la présence d’un Préfet de région, ce qui conduit à l’écriture de Contrat de Plan Etat-Région laissant peu d’autonomie aux projets endogènes. Les budgets réduits et ce « contrôle » mènent à des compromis et soutiennent des projets ambivalents. On peut évoquer le financement actuel à hauteur de 1,3 milliard par les collectivités régionales d’une LGV qualifiée de bretonne alors qu’elle ne fait que desservir Rennes, même si le gain de temps opéré vers Paris profitera aussi aux gens du Finistère. Toutefois, en distance-temps, faire un Brest-Rennes (242 km) sera plus long que de réaliser un Rennes-Paris (349 km). A l’instar du TGV Méditerranée qui a été obtenu par les Provençaux sans qu’ils dépensent le moindre denier, les Bretons n’avaient pas à financer une infrastructure d’Etat qui absorbe l’essentiel de la cagnotte régionale. De même, quand la Bretagne avait obtenu en 1968 les voies express gratuites, on avait commencé par la route Brest-Landerneau car on était sûr qu’alors se produiraient d’autres aménagements. Autre époque dira-t-on…

De fait, cette fascination actuelle pour les « grands » projets pose problème. Certes, l’équipe régionale de Jean-Yves Le Drian a été élue sur ce programme et il est normal qu’elle l’applique. Et puis Bernadette Malgorn soutenait aussi cette infrastructure, avec peut-être une vision plus finistérienne. Cette ligne LGV et la réalisation de quelques tronçons à 2 x 2 voies sur la RN 164 vont engloutir plus de la moitié de l’ensemble du budget du Contrat de Plan Etat-Région sur la période 2010-2015 : 681 millions sur 1,3 milliard ! On ne revient pas sur le passé. Mais demain, une ligne politique différente pourrait davantage s’intéresser à l’animation des territoires. Certains élus croient encore qu’il suffit de « faire une route » pour susciter l’essor économique. Or, des chercheurs ont, depuis très longtemps, dénoncé ce « mythe du développement automatique » (dans le Massif Central, des autoroutes auraient permis aux jeunes de partir plus vite, les gares TGV « du désert » n’ont pas du tout suscité les dynamiques escomptées). Tout dépend en fait des stratégies d’accompagnement et, vue la situation économique, on sait que les progrès naissent plus de projets concrets et territorialisés que d‘investissements pharaoniques. Or, sur cette même période, l’analyse des budgets laisse perplexe. 400 millions d’Euros en 7 ans pour l’ensemble de l’animation territoriale (le soutien aux différents pays bretons, l’équipement numérique, l’aide à l’emploi…). 103 millions d’Euros consacrés à la transition et l’autonomie énergétiques alors que l’on va par ailleurs, avec d’autres leviers financiers, trouver 450 millions d’Euros pour le projet contesté de centrale à gaz à Landivisiau qui va accroître le déficit énergétique ! Où est dans ces projets l’autonomie régionale, l’économie de la mer ? Où est le développement endogène de la Bretagne ? La création de valeurs permettant à nos citoyens de s’en sortir ? Notre espoir est donc que le prochain programme breton remette les pieds sur terre plutôt que de se focaliser sur des « grands » projets, certes utiles, mais il y a aujourd’hui mieux à faire.

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Parallèlement, les finances des collectivités sont de plus en plus exsangues. La finalité d’un Conseil régional, eu égard à son budget modique, est d’être davantage un coordinateur des dynamiques de la société civile que de chercher à les contrôler. Or, depuis la création du Conseil en 1982, on a constaté à droite comme à gauche la propension à contrôler les forces bretonnes plutôt qu’à les animer. Par exemple, on a assisté à une multiplication des E.P.C.C qui se sont substitués à la vitalité d’un tissu associatif breton certes turbulent, mais qu’il ne s’agit pas de cadenasser. Or, cette institutionnalisation des dynamiques économiques ou culturelles est très coûteuse. Elle instruit aussi le risque évident d’un contrôle politique, voire politicien, l’emportant sur la vitalité de la société civile et ainsi l’anesthésiant (l’octroi des subventions par exemple).

Au final, même si bien sûr de bonnes choses sont réalisées, notre bilan/diagnostic est donc critique. Depuis son origine, la région Bretagne a souvent multiplié des structures tampons supplémentaires destinées à coordonner l’ensemble, mais qui finalement multipliaient les coûts de fonctionnement et se défiaient de la société civile. L’avenir écrira une stratégie inverse. Il s’agira moins de contrôler que de libérer et de coordonner la société bretonne. Le pouvoir régional breton doit être un animateur de la société bretonne et non son garde-chiourme. Les contraintes budgétaires croissantes vont de toute façon imposer ces logiques de repli. Le pouvoir politique n’aura plus les moyens de ses ambitions. Il devra enfin admettre que des dynamiques parfois plus rapides peuvent s’opérer sans lui, voire justement car il n’est pas présent.

Quel programme ?

Du coup, à l’aube des élections, cet enjeu essentiel de la gouvernance (au sens large) est des plus importants. Cinq idées essentielles de positionnement et d’actions nous semblent ici à privilégier.

1. A l’échelle nationale, le Conseil régional doit, de manière externe, se structurer pour multiplier les expérimentations et plus largement être le verrou permettant de décadenasser la démocratie française. Elle pèsera de tout son poids pour créer une Assemblée de Bretagne ou un parlement breton en élargissant au maximum cette réalité aux 5 départements (dossier précédent). Parallèlement, au plan énergétique, financier, sur le sujet de la santé, le traitement des déchets, etc., la région privilégiera au maximum les actions favorisant l’autonomie régionale. Elle l’a fait en partie au plan énergétique (les Énergies Marine Renouvelables par exemple) mais elle s’engagera davantage à privilégier des énergies durables régionales et non importées, en encourageant notamment les démarches citoyennes et participatives. De même, des spécificités bretonnes (la parcimonie d’ensemble et le comportement vertueux de la population par exemple) seront affichées pour obtenir davantage d’autonomie fiscale. Il n’est pas normal aujourd’hui que les Bretons dans l’ensemble plus civiques soient pénalisés pour leurs probités, en raison notamment de comportements déviants présents ailleurs.

2. Un autre point central est que la Région n’a pas ici pour fonction de tout contrôler. Des dynamiques lui échappent ? Tant mieux ! Cela permet d’ailleurs à différents projets d’avancer plus rapidement. Ce volet central évoque donc la philosophie de l’animation régionale. Au lieu de vouloir, comme souvent, contrôler les dynamiques émergentes, le pouvoir breton doit, à l’inverse, lâcher la bride. Les Bretons méritent qu’on leur fasse confiance et ont un goût pour les projets informels, parfois d’ailleurs conclus par de simples promesses orales. Or, la gouvernance régionale a parfois fonctionné comme Paris en créant des organismes de contrôles, en multipliant des structures politiques ou para-politiques qui font moins confiance aux acteurs de terrain. Elle fonctionne aussi beaucoup en silo (ici l’économie, là l’environnement…) alors que les nouvelles dynamiques procèdent de l’animation des transversalité vertueuses ouvrant des nouveaux champs et créant l’innovation.

3. Dans ce cadre, une autre action emblématique pourrait ici renforcer le « choc de simplification », annoncé et quelque peu engagé par l’Etat, mais qui reste insatisfaisant. On compte par exemple plus de 150 structures souvent illisibles chargées en Bretagne de dynamiser le marché de l’emploi. Dans le secteur du tourisme, la prolifération des structures (Office du tourisme, Pays touristique, Agence départemental du tourisme, Région…) limite considérablement la présence d’un chef de file et brouille le message, chacun y allant de sa promotion, souvent sans aucune concertation d’ensemble. Bien entendu, ces simplifications et efficacités renforcées ne sont pas simples à mettre en place puisque chaque organisme existant se juge indispensable et fait tout pour se perpétuer. Toutefois, les difficultés financières vont forcément conduire à mutualiser les démarches pour les rendre efficaces. La Région doit tout faire pour devenir le véritable chef de file des activités régionales. Elle l’a réalisé en particulier avec Bretagne Développement Innovation dans le monde de l’économie, mais cette action s’est opérée sans réelle suppression des innombrables organismes censés s’occuper du même sujet (par exemple pour la promotion des entreprises bretonnes à l’international). Il faudra bien un jour ou l’autre gagner en efficacité en rationalisant les modalités de fonctionnement et parfois en allégeant les coûts pour renforcer les dynamiques de l’action.

4. Ainsi, le binôme région-pays doit être le moteur de l’animation régionale puisqu’il prend en compte les singularités bretonnes (historiques, culturelles, d’organisation etc.). A noter que la dernière mandature a sans doute institué une démarche plus participative et ascendante de ces partenariats, concernant notamment le domaine de l’expérimentation et énergétique. Toutefois, les budgets consacrés à ces animations plus ascendantes pourraient, on l’a dit, être considérablement musclés. Alors que l’on entre dans une économie de la précarité, la satisfaction des besoins primaires des populations est un point crucial (se nourrir, se loger, se chauffer…). Or, c’est pour l’essentiel une économie de terrain créatrice de solidarité territoriale qui va permettre de s’en sortir. Parfois, la Région veut « contrôler » alors que des associations ou autres font le job de manière plus efficace avec des moyens plus limités. Il ne s’agit pas d’institutionnaliser ce qui marche, mais au contraire de libérer les forces régionales. La promotion des transversalités ne peut être opérée que par la Région, à la condition que celle-ci multiplie ces passerelles sans avoir pour finalité de les instruire. Entre l’animation d’une dynamique et ses velléités de contrôle, il existe un « gap » fondamental qui illustre le passage ou non vers une gouvernance moderne.

bois chauffage

5. Le primat de l’économie partagée et endogène peut donc devenir la priorité régionale. Des actions économiques concrètes doivent être lancées avec la Loire-Atlantique (par exemple dans le domaine de l’export) et les coopérations actuelles ne peuvent pas se résumer à de simples événements sportifs ou culturels. Le ludique, c’est bien. La prospérité territoriale, c’est mieux. Ces actions orientées vers la variété des territoires bretons s’attacheront à conforter le polycentrisme régional et à soutenir une économie fortement productive, seul gage pour un avenir économique breton. N’oublions pas que la Région est normalement le chef de file pour une animation économique qui est loin de se réduire au seul domaine des infrastructures.

En conclusion de ce second dossier, il nous apparaît qu’un autre mode de gouvernance doit être institué en Bretagne. La Région n’a pas vocation à « tout faire », d’autant qu’elle n’en a pas les moyens. Son originalité (qui assurera d’ailleurs sa reconnaissance) réside davantage dans une capacité à mettre les Bretons en marche, à faire jouer la démocratie participative en recueillant les avis parfois contradictoires des citoyens. Il ne s’agit pas en fait de créer une structure de plus, des impôts en plus, un appareil supplémentaire. Le nouveau pouvoir régional breton pourrait avoir l’audace d’être au contraire un ensemblier fonctionnant éventuellement avec moins de budget car il ferait tout simplement confiance à la société civile. Vaste programme. Il n’est pas sûr que les listes en place abondent ces dynamiques qui font confiance aux hommes et croient davantage au potentiel de la société civile (précisément coordonné par la Région, mais de manière souple) qu’à ses appareils.

Le Comité de Rédaction

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