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Construire la Bretagne, c’est aussi construire ses langues. Les ouvrages de fond sur le sujet ne sont pas légion. Thierry Kranzer nous propose une véritable somme sur la question des langues de France. Chacun, en Bretagne et ailleurs, pourra s’en nourrir pour approfondir sa réflexion. Bien que le titre, Langues régionales, au bord du gouffre ?, puisse prêter à confusion quant à l’énergie positive que porte l’ouvrage, le point d’interrogation souligne que le jeu reste ouvert, même si la pratique en est largement prohibée… L’auteur décrète avec raison l’état d’urgence : « 97% des élèves concernés par une langue régionale en France n’ont pas accès à une éducation bilingue ».

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Thierry Kranzer

Thierry Kranzer nous rappelle les vicissitudes de l’histoire des langues de France. « La première révolution (1789-1793) s’accommode fort bien de la diversité linguistique ». Il en ira tout autrement avec la Terreur, quand les jacobins «  érigent le français en arme politique ». Nous sommes encore tributaires aujourd’hui de cette idéologie porteuse de « génocide culturel » qui traverse  l’histoire récente. Témoin ce propos du préfet du Finistère et des Côtes-du-Nord en 1831 : « Il faut, par tous les moyens possibles,  favoriser l’appauvrissement, la corruption du breton, jusqu’au point que, d’une commune à l’autre, on ne puisse plus s’entendre […] Il faut absolument détruire le breton »… Voilà qui est dit ! Plus près de nous, la Charte Européenne des langues régionales, signée a minima (39 articles sur 52), mais jamais ratifiée pour d’obscurs motifs constitutionnels, témoigne de la permanence de cette idéologie mortifère, alors même que 72% des français sont favorables à  l’officialisation des langues régionales (Ifop Juin 2015), 85% dans les départements où elles sont parlées.

Ces aspects historiques sont aujourd’hui assez bien connus. Un des mérites de l’ouvrage de Thierry Kranzer est de situer le débat dans le corpus du droit international (abondamment sollicité) et du renforcement  récent des textes onusiens visant à protéger et encourager l’expression des minorités. La France, toujours prête à donner des leçons à l’étranger sur le respect de la diversité culturelle, est prise à revers par ces textes fondateurs qu’elle ne veut pas signer quand les autres les signent. Elle est ainsi de plus en plus souvent montrée du doigt dans les instances internationales. Ce courant porteur aura-t-il raison de l’immobilisme étatique. C’est ce que veut croire notre auteur.

Thierry Kranzer réaffirme par ailleurs que la France n’a pas à avoir peur de ses fortes identités régionales. Ce sont les bretons et les alsaciens qui défendent le plus ardemment la langue française à l’étranger. Au point que la crise iraquienne opposant la France aux Etats-Unis  a été résolue à New-York pas le détour des identités régionales, qui ont sauvé la France du boycott. Souvenons-nous qu’à  l’époque, les américains sortaient les produits français des rayons pour les piétiner. « Dans les rues, les francophones sont interpellés. On leur suggère de quitter l’Amérique ». L’union Alsacienne de New-York organise alors au pied de la Statue de la liberté une grande fête de l’amitié franco-américaines en célébrant le trois centième anniversaire de la mort de Bartholdi, alsacien né à Colmar et auteur de la statue.  Adrien Zeller, Président de la région Alsace, a fait le déplacement. Le maire de Princeton rappelle qu’à la bataille de Yorktown, décisive pour l’indépendance des Etats-Unis, il y eut plus de morts Français qu’Américains. Le succès de la manifestation est relaté par les 70 plus grands quotidiens du monde.

On notera, par contraste, que ce sont les français monoglottes qui sont les plus prompts à abandonner la langue française en pays anglophone. Défendre les langues dites régionales (le terme est en soi contestable du fait de la hiérarchie extra-linguistique qu’il installe), est aussi la meilleure façon de défendre le français…

L’auteur démontre enfin que l’avènement du monolinguisme en France à la fin du vingtième siècle a détruit plusieurs dizaines de milliers d’emplois frontaliers en Suisse, en Allemagne et au Luxembourg. Quatre langues dites « régionales » en France sont « officielles » chez nos voisins. L’Alsacien est un exemple probant. Créatrices de richesse culturelle et d’externalités positives, les langues sont donc aussi très directement pourvoyeuses d’emplois. Détruire les langues, c’est détruire des emplois en masse… La promotion de la langue bretonne est une des composantes du développement de l’emploi en Bretagne. Elle a toute sa place dans un ambitieux projet breton.

Le comité de rédaction

Langues régionales, au bord du gouffre ? Thierry Kranzer. Editions Yoran. 296 pages, 18€.