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« Avons-nous raté le coche de la décentralisation ? Loin de susciter l’enthousiasme et l’espoir, la décentralisation provoque maintenant, et de plus en plus, scepticisme et suspicion. Elle est même devenue un objet de tractation. Aujourd’hui, défendre en public une vision décentralisée ou régionalisée de la République, est presque aussi hasardeux que de continuer à affirmer sa foi en la construction européenne… Croire dans la force des territoires est plus que jamais un combat politique que nous devons porter.

Trois explications, au moins.
La première est culturelle et très ancrée dans l’histoire millénaire de notre vieux pays. L’Etat Nation, centralisé et centralisateur, est depuis toujours supposé être plus puissant et donc plus protecteur.

La deuxième explication, c’est que cette tendance naturelle est encore aggravée par la crise de confiance que connaissent les Français. Or, aux difficultés et aux doutes d’aujourd’hui, l’Etat n’est plus en mesure de répondre seul à ces attentes.

La troisième explication est enfin liée à l’inachèvement même de la décentralisation à la française.
L’illisibilité de la répartition des compétences, l’éparpillement des responsabilités entre trois, quatre ou cinq niveaux d’intervenants, la rupture du lien entre fiscalité et compétences, le maintien en doublon de
nombreuses actions de l’Etat, sont autant de facteurs, pourtant maintes fois dénoncés, qui contribuent à dégrader l’image d’une France décentralisée et apaisée.


Alors, régionaliser l’action publique ? Mais au fond, pourquoi ?

Face à ce triple constat, la décentralisation, du simple fait qu’elle soit menacée, n’est plus seulement un projet à argumenter, mais surtout un véritable combat à mener. Pour gagner cette bataille, l’objectif est
clair : démontrer que la décentralisation n’est pas le problème, mais qu’elle est la solution.

La décentralisation doit faire progresser l’efficacité de l’action publique. La proximité, dans la prise de décisions comme dans leur mise en oeuvre opérationnelle, doit être facteur de de bon sens et de progrès. Nos
concitoyens doivent bénéficier de politiques publiques adaptées aux réalités qu’ils vivent sur leur territoire, de réponses réactives à leurs besoins spécifiques. Cela s’appelle la différenciation.


Savoir qui est responsable de quoi ?

La réforme territoriale doit aussi apporter sa contribution au rétablissement indispensable des comptes publics. S’il est démagogique d’affirmer que la seule suppression de tel ou tel niveau de collectivité serait seule capable de réduire la dépense publique, il n’est pas raisonnable non plus de contester les économies que peut induire la simplification de l’organisation territoriale.


Et si le véritable enjeu de la régionalisation était tout simplement celui de la démocratie ?

La régionalisation est beaucoup plus ambitieuse qu’une simple recherche d’économies budgétaires. S’en tenir à cela, c’est passer à côté du sujet et d’un enjeu essentiel : celui de la démocratie. Car, au-delà, ou en plus, d’une crise économique et sociale profonde, d’un niveau d’endettement plus guère soutenable et d’une compétitivité en berne, notre pays souffre aussi d’une crise de sa démocratie. En témoignent le rejet de la classe politique, le doute quant aux institutions, le désintérêt croissant pour les élections et la mise en cause de la représentation. Ne pas voir que la vitalité de la démocratie est facteur de cohésion sociale et que cette
cohésion sociale est une condition sine qua non de la performance économique, c’est commettre une profonde erreur de diagnostic. Et ne pas voir que la démocratie locale peut vraiment revivifier la République, c’est se tromper de remède.

C’est bien pour cela que la régionalisation est un vrai projet politique de modernisation de notre République, un projet susceptible de réconcilier les Français avec leurs élus, de les réimpliquer dans la gestion de leurs territoires au service d’un projet collectif, qui doit être construit en harmonie avec les principes de développement de la Nation.

C’est pour cela aussi que la question de la carte des territoires n’est pas un sujet secondaire et ne saurait être traitée à coups de ciseaux technocratiques. Il s’agit de vie démocratique, de lien social et de la manière dont des hommes et des femmes vont, oui ou non, se retrouver dans leurs institutions.

La décentralisation est d’abord une question de réalités humaines, forgées par l’Histoire, par des facteurs sociologiques et culturels profonds. Ignorer ce fait des identités territoriales, ne pas voir combien elles sont
déterminantes pour faire vivre la cohésion sociale et la démocratie, c’est prendre le risque d’une énième réforme jacobine manipulant, avec ruse, l’authenticité du désir de décentralisation ».

Pierrick Massiot,
Président du Conseil Régional de Bretagne


Crédit Photo : Emmanuel Pain