Madame, Monsieur,
Je ne sais si vous avez pris la décision définitive de voter en faveur d’une fusion Bretagne – Pays de Loire, plutôt que de préparer la simple réunification de la Brertagne tant souhaitée.
Mes réflexions sur la question bretonne sont le fruit de 60 ans d’experience. Raison de plus pour en tenir compte. D’autant que les milliers de gens qui viennent m’entendre en concerts et en festivals dans le monde ne me trouve pas gâteux…).
Même si la France refuse de reconnaitre officiellement les minorites nationales (quand elles sont dans ses frontières), il n ’empêche que la Bretagne n’ est pas une simple région comme la Champagne ou l’Orléanais, encore moins un bassin d’emploi, mais une nationalité sans état, comme la Corse et le Pays basque. On ne se permet pas comme ça d’en modfier les contours, encore moins de la faire disparaitre.
– Economiquement et culturellement, la Bretagne a une dynamique naturelle qui lui permet de s’épanouir dans une ouverture systématique vers l’Irlande et l’archipel celtobritannique. Ces rapports privilegiés, logiques et indispensables, seront objectivement bien plus difficiles, voire impossibles, dans un grand ouest.
– Pour le monde, la Republique francaise est censée assister ses citoyens en danger.
La Bretagne aura, elle-même, des efforts à faire pour sauvegarder sa langue. On le doit, pas seulement à nous-mêmes, ni à nos grand -parents, mais au patrimoine commun de l’ humanité: la diversité de ses trésors, bien sûr, mais surtout sa pluralité de pensée, sa créativite, dans tous les domaines, même scientifiques. Un vrai crime de l’amoindrir. Dans un grand ouest, la mort est certaine. C’est un optimiste qui le dit.
Comment un(e) Sarthois(e), ou même un(e) Mayennais(e), donnerait la place indispensable à la langue bretonne et quelle Histoire de Bretagne serait enseignée?
– Economiquement, la Bretagne 5 aurait un souffle justement d’optimisme, de dynamique, de motivation. Nous dépasserions certainement le Pays de Galles (qui n’eprouve, d’ailleurs, aucun besoin de se fondre dans un Ouest anglais, lui). Et, vous pouvez être certains que la Bretagne 5 ne couperait, pas plus qu’aujourd’hui, les ponts avec Laval ou Angers (!).
La fusion amènerait déprime et pire.
Ne détruisez pas nos espoirs.
L’espoir de centaines de milliers de gens, c’est la Bretagne intégrale des 5 départements, de Ouessant à Clisson.
Les bretons, y compris les plus militants (sauf quelques extrêmistes de droite moins nombreux qu’ailleurs), sont des gens dont les tendances sont à l’opposé de l’esprit de communautarisme et d’ethnisme qu’on nous attribue de la façon la plus injuste qui soit. Et même un comble, quand on sait que c’est nous qui souffrons d’une arrogance ethno-culturelle franco-française qui se cache derrière des discours aussi humanistes que ceux des yankees face aux amérindiens.
Ici, il n’est pas question de massacres. On sait qu’iI y a ,en effet, crimes encore bien plus odieux que perpétuer les conditions pour éradiquer des identités, des cultures et des pensées non conformes (au génie considéré comme vraiment français, parce que majoritaire). Mais ,ayez conscience qu’il y a vraiment crime à ne pas permettre à la Bretagne d’être la Bretragne. Une Bretagne ouverte.
Je suis persuadé que l’immense majorité d’entre vous n’est pas, au fond du coeur, ennemie de la Bretagne. Mais, si votre position était bien de faire disparaître l’entité bretonne, dissoute institutionnellement et, à moyen terme, culturellement dans un ensemble ouestien, je suis persuadé que c’est parce que vous n’auriez pas conscience.de toutes les conséquences.
Cordialement,
Alan Stivell
Lettre aux parlementaires bretons