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Jean-Marc Ayrault, promoteur de la fusion Pays de la Loire – Bretagne avance trois arguments qui me semblent très discutables.

1 – « La vie quotidienne rapproche déjà nos régions qui forment un seul bassin de vie », affirme l’ancien Premier Ministre. Comment peut-on affirmer qu’une région allant du Mans, tournée vers Paris, à Brest, tournée vers le large, forme un même « bassin de vie » ? Comment imaginer qu’un « bassin de vie » unisse Douarnenez à Mamers ou La Ferté-Bernard ? Admettons cependant un instant que la « vie quotidienne » unisse Finistère et Sarthe. Aucune analyse sérieuse ne pourrait prouver que ces liens là seraient supérieurs à ceux qui lient Bretagne et Normandie, Pays de la Loire et Centre ou Le Mans et Paris. En fait, on pourrait reprendre la phrase de Jean-Marc Ayrault et l’appliquer à un très vaste espace qui s’appelle la France. La vie quotidienne y est rythmée par les mêmes informations, les mêmes références, la même administration… Justifier une région Pays de la Loire – Bretagne au nom de « la vie quotidienne » de ses habitants n’a strictement aucun sens. Pourquoi pas Bretagne – Normandie ? Pourquoi pas Bretagne – Normandie – Pays de la Loire ? Mais les habitants de la Loire ont aussi des solidarités avec le Centre, avec le Poitou, avec Paris… Donc, élargissons encore. Non, cet argument de Jean-Marc Ayrault ne résiste pas à l’analyse.

Certains pourraient rétorquer qu’il n’y a pas davantage de liens issus de la vie quotidienne entre Douarnenez et Vitré ou Fougères. Certes. Mais à Douarnenez, on se sent Breton. A Vitré ou Fougères aussi. Et, si j’en crois les sondages, la vie associative et les déclarations de chefs d’entreprises, à Guérande ou Nantes également. C’est ainsi. La « vie quotidienne » engendre les sentiments d’appartenance des habitants à leurs territoires de vie. Lisons toutes les études, et elles sont nombreuses : les Bretons, dans les cinq départements, ressentent un fort sentiment d’appartenance à la Bretagne. C’est comme ça, et c’est une chance. Très récemment 90% des Bretons se disaient attachés à la Bretagne. La « vie quotidienne », les « bassins de vie », les espaces vécus, ils sont là, et nulle part ailleurs. Et quand 70% des sondés de Loire-Atlantique disent préférer l’alliance de leur département à la Région Bretagne, pourquoi refuser de les entendre ?

2 – Jean-Marc Ayrault justifie également la fusion par l’existence de réseaux développés dans les domaines économiques ou universitaires. Oui, évidemment et très heureusement, des relations existent entre la Bretagne et ses voisins, dont les Pays de la Loire. Nos régions ne vivent pas en autarcie et ces relations doivent être évidemment renforcées ; c’est d’ailleurs la proposition, équilibrée, de Jean-Yves Le Drian. Ces renforcements éventuels, avec les Pays de la Loire bien sûr, avec aussi la Normandie voisine, avec les pays celtiques, avec l’ensemble de l’Arc Atlantique, seront profitables à tous. Et il n’est guère besoin de fusion pour les activer. Elles existent déjà, développons-les !

3 – Dernier point : « il faut sortir des identités… Notre histoire commune, ce n’est pas que le XVIe siècle ». Vieille rengaine que la peur des « identités » autres que nationale. L’argument dit deux choses : d’une part, une profonde, très profonde, méconnaissance des réalités vécues par les Bretons, qui, très majoritairement, sont Bretons, Français et Européens ; d’autre part, l’idée que « l’identité », « l’identitaire » serait forcément repli, passé, autarcie. Tout cela témoigne d’une vision totalement fausse des affirmations bretonnes, résolument ouvertes sur le monde et sur le contemporain…. C’est au nom de l’avenir et des projets à construire que l’on peut souhaiter une région Bretagne à cinq départements, espace le plus pertinent pour le développement économique, social, culturel de nos territoires. L’enjeu est de répondre à deux drames : la déprise économique et le désenchantement démocratique. Une Région comme la Bretagne, géographiquement cohérente, forte de trois métropoles, d’un large tissu de villes moyennes, nourrie par le sentiment d’appartenance de ses habitants, renforcée par des compétences nouvelles et par des moyens ambitieux, aurait la force de répondre à ce double défi. Les entreprises qui adhèrent à la Marque Bretagne et au réseau Produit en Bretagne le savent : le développement de l’emploi et l’affirmation d’une dynamique identité bretonne ouverte sur le monde vont de pair. Si le sentiment de déclassement est le terreau des populismes, le sentiment d’appartenance est le principal levier de la mobilisation citoyenne, de la vitalité démocratique, de la réussite économique…
Comment pourrions-nous diluer ces richesses dans un Grand Ouest aux limites floues ? La Bretagne a des atouts, comment peut-on imaginer qu’elle les dissolvent ?

Il faut espérer que la raison finira par l’emporter et que les parlementaires ne donneront pas suite à cette idée de fusion préconisée par Jean-Marc Ayrault. Dans le premier temps, la Bretagne restera forte de ces quatre départements. Dans un second temps, grâce à un « droit d’option » assoupli, le département de Loire-Atlantique devra choisir. Il pourra alors s’appuyer sur les souhaits de ses habitants… Qui pourrait craindre une consultation populaire ? Au bout du chemin, une Bretagne à cinq départements sera le territoire de notre avenir.

Jean-Michel Le Boulanger
Dixième vice-président de la région Bretagne chargé de la culture et des pratiques culturelles
Membre du groupe Socialiste et apparentés
Membre de la Commission culture et sports
Elu sur la liste la Bretagne solidaire, créative et responsable