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Une partie des élites nantaises a souvent joué et jouent encore contre l’unité bretonne. Dès 1941, à une époque où la Bretagne était en situation de misère, les pouvoirs économiques (CCI notamment) regardait avec condescendance une identité associée à la misère et au déclin économique.

Aujourd’hui, dans un pays si centralisé, de nombreux pouvoirs institués tirent leurs subsides du pouvoir central et ne veulent surtout pas couper la branche sur laquelle ils sont assis (le Conseil régional des Pays de la Loire etc.).

Parallèlement, on donne actuellement à Nantes comme à Rennes des statuts de « métropoles » qui gonflent soudainement leurs budgets. Si l’on prend un peu de recul, on constate que le bilan de la « réforme territoriale » socialiste aura été par dessus tout la négation des identités régionales. A l’inverse, on privilégie avec une vision administrative des « capitales de province » (Nantes, Rennes, Brest) comme pour mieux opposer les villes à leurs territoires. Les fractures territoriales pourtant jugées « insupportables » vont encore se renforcer. Les métropoles risquent de plus en plus d’abattre leurs cartes personnelles au-delà des projets régionaux.
Cela dit, sur une temporalité plus longue, l’identité bretonne n’a plus du tout à Nantes la même image que dans les années 1950. Le mot Bretagne est très couru pour le dépôt des marques : plus de 1600 en tout sur la base de l’INPI si on prend Bretagne (905), Breizh (624), Armorique (50), Triskell ou Triskalia (30) etc. A l’inverse, les deux mots « Pays de Loire » ou « Pays de la Loire » sont choisis par … 85 structures ou entreprises !

Cela, les Nantais le savent bien. D’esprits commerçants et industriels, ils sont engagés dans une compétition européenne avec d’autres métropoles pour attirer les « fonctions stratégiques » et « les sièges sociaux » des entreprises. S’il existe des « villes solitaires » (Hambourg, Détroit) qui tentent une stratégie marketing isolée et fragile, ils constatent que d’autres villes « solidaires » avancent avec leurs régions (Barcelone avec la Catalogne, Bilbao et le Pays Basque, la Bavière avec Munich …). D’autres territoires privilégient même le fait régional. En dépassant et mutualisant les seules appellations urbaines de Los Angeles ou de San Francisco, la Californie « vantée dans son ensemble » est devenue la région la plus attractive au monde. Pour les villes bretonnes, il y a donc une place à prendre. Actuellement, les villes n’ont ni notoriété mondiale (11 975 appellations pour Paris), ni même de réelle notoriété européenne : 284 choix pour Nantes sur la base de l’INPI, 168 pour Rennes, 110 pour Brest, 92 pour Quimper ou Kemper, 24 pour Saint-Nazaire pourtant en pôle position pour la construction navale etc. De surcroît, avec un regard parisien, Nantes se rend compte que les « concurrentes » Bordeaux et Rennes se rapprochent de la capitale (la liaison Bordeaux-Paris va être raccourcie d’1h30, Rennes sera à une heure trente de Paris…) alors que leur projet d’aéroport végète. De fait, le marché de l’immobilier d’entreprise à Nantes plafonne. Le port de Nantes-Saint-Nazaire est mal en point et voit son trafic chuter, alors que la mondialisation maritime se poursuit et dynamise les autres péninsules. En réalité, par défaut de région, l’image de Nantes est peu lisible. Elle est tour à tour bretonne, capitale de la Loire-Atlantique, ligérienne, nantaise (« les folles journées », « Nantes métropole »…), des Pays de la Loire, du « Grand » Ouest… Elle fut même de « l’Ouest Atlantique », structure destinée à « attirer les investisseurs internationaux » qui a fermé ses portes en décembre 2012 puisque de l’avis même de ses promoteurs, « il vaut mieux arrêter quelque chose qui ne marche pas » (J. Macaire). Mais quelle gabegie financière puisque des millions d’Euros ont été engloutis et quel brouillage dans le message ! Nantes n’est-elle pas localisée géographiquement à l’est de l’Atlantique ? En somme, Nantes-Saint-Nazaire est actuellement coincée. Le développement est réel mais loin d’atteindre les ambitions affichées et le port surtout donne de réels signes d’inquiétudes. Face à ces difficultés, le pouvoir nantais aura-t-il l’audace d’abattre la carte bretonne ?

D’un côté, c’est loin d’être évident car dans ce pays si centralisé, il reste inféodé pour de nombreux projets au pouvoir parisien. Mais de l’autre côté, Rennes, « ville d’Etat » (F. Damette) s’affiche de moins en moins comme bretonne. Il y a donc une place de leadership à prendre d’autant que la ville de Nantes se singularise dans la typologie de F. Damette par un profil « pragmatique », très « commerçant et industriel ». Nantes capitale de la Bretagne. Une appellation « Nantes Bretagne » ! Une ville non pas institutionnalisée et de plus en plus administrée (est-ce l’avenir ?), mais qui retrouverait l’audace et le commerce qui a fait sa prospérité. On rêve sans doute. Mais si une élite du milieu d’affaire et déterminée transcende cette Bretagne aimée mais en jachère économique, elle bénéficiera de nombreux soutiens pouvant déclencher l’avalanche. L’histoire démontre comment le positionnement territorial est essentiel pour la vitalité économique. La Californie avait une image catastrophique au début du XXe siècle (une terre de violence, de non-droit, le tremblement de terre de 1906…). Un immense travail sur une image limpide (le soleil, le surf, les entreprises, le cadre de vie…) et des actions très concrètes du fonds d’investissement de Frederick Terman menées dans les années 1960 ont construit le business, un pouvoir financier et économique régional. On sait que Paris fera tout pour éviter l’unité de la Bretagne, car c’est la seule région à pouvoir par sa taille démographique et son identité porter une vision girondine et entraîner toute la France sur la voie de la décentralisation. « Le pouvoir, cela se prend » disait J.-Y. Le Drian. De formidables complémentarités peuvent exister avec Rennes, Brest (notamment sur la mer) et les autres villes et campagnes bretonnes pour un véritable projet collectif et original … qui va profiter au premier qui va dégainer. Rennes ne le fait pas. L’image de la Bretagne est pourtant désormais remarquable et libre de droit avec une population partante, le terreau d’une appartenance collective et la présence de pouvoirs de décisions enracinés et réels.

Pour résoudre ce problème de positionnement régional que plus personne ne conteste, les Nantais vont-ils choisir de se réveiller ?

Le Comité de Rédaction