Colette Trublet est la fondatrice de la Cité du Livre à Bécherel (35).
Sa culture, son expérience, son âge, éclairent sa conscience et invitent les responsables politiques à établir les bonnes liaisons entre leur cœur et leur raison :
Mesdames, Messieurs les députés,
Merci de tenir compte honnêtement des souhaits de vos électeurs. Notre créativité, notre participation à la vie politique du pays dépend du respect que vous nous montrerez. Tout a été dit depuis des années concernant la mutilation de la Bretagne, et notre souhait de retrouver nos frontières historiques a été maintes fois réitéré, que nous soyons Bretons d’origine ou d’adoption. Nous y sommes majoritaires, ce qui ne sera plus le cas si vous nous forcez à nous noyer dans un grand Ouest. Nous n’avons jamais cessé de manifester notre désir. Vous n’êtes ni sourds ni aveugles, et si vous voulez aller dans le sens de plus de démocratie il convient de prendre en compte notre vœu d’une démocratie de proximité qui réduira l’abstention, un mal devenu endémique.
Ne sous-estimez pas le désespoir des Bretons en cas de refus. Vous marchez sur un terrain fragilisé par les déceptions à répétition et par des arguties mijotées dans des cabinets inaccessibles à la discussion et aux échanges. Quand on se heurte à une telle fin de non recevoir et que la demande est tout à fait légitime et logique, les solutions individuelles ne sont pas évidentes : on retourne chez soi la rage au cœur, on explose dans la rue, on se brise de l’intérieur, on fuit, on s’abrutit et dans tous les cas on est un poids pour soi et pour la société. De bonnes économies consisteraient à tenir compte de notre santé mentale. Les Bretons sont Bretons et vous n’y pouvez rien, nous non plus d’ailleurs.
Imaginez une seconde que les allemands, ou les anglais , ou les chinois viennent empêcher les français de parler français, imaginez que vous soyez obligés de ne parler que la langue de l’occupant et qu’on vous punisse si vous contrevenez à la nouvelle loi, imaginez que vos petits enfants ne vous comprendront plus quand vous leur parlerez français et qu’ils auront honte de vous si quelques mots vous échappent et vous comprendrez (un peu) le sort qui nous a été réservé depuis les années 1900 surtout (avant on avait encore le droit de parler nos langues : le plus grand mal est venu de l’interdiction de les parler à l’école et de la honte qui en a découlé)… De blessures en ruptures dans l’ordre de la transmission des savoir-faire et savoir-être, la plaie restera ouverte, consciemment ou non quand aux causes; une mutilation re-ouverte à chaque interdiction d’être dans la logique d’un désir enraciné réactualise une impuissance à défendre sa cause, son intelligence, sa fierté et son honneur.
Je vous parle du plus profond de mon cœur, en toute vérité, et au terme d’une vie qui commence à être longue et durant laquelle j’ai eu à réfléchir sur toutes ces questions.
Nous n’avons jamais cédé sur notre appartenance à notre origine, à notre culture, à notre histoire. Nous vivons un moment où des réparations sont devenues possibles et vous avez probablement beaucoup de mal à imaginer l’espoir que vous avez soulevé en mettant en chantier ce redécoupage des territoires. Nous serions nombreux à vous maudire si vous refusiez une fois de plus que notre Bretagne soit réparée ; Les mutilations infligées par Pétain en collaboration avec les nazis nous restent une honte et une horreur cuisantes.
Avec mes salutations bretonnes et en espoir de cause.
Colette Trublet