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[Betton] —

Mesdames et Messieurs les député-e-s breton-ne-s et tou-te-s les autres,

A Nantes en juin 2014 lors du rassemblement pour la réunification.Vous allez confirmer, ou non, ce qu’une majorité de l’Assemblée a discuté et approuvé. Je n’ignore pas que vous avez la légitimité d’avoir été élus.

Pour celles-ceux qui s’apprêtent à confirmer ce vote, favorable au maintien d’une région Bretagne, réduite aux dimensions voulues par le maréchal Pétain (peut-être faute de ne pouvoir imposer la dissolution totale de la Bretagne dans un «grand-ouest»), vous ne mesurez certainement pas la gravité de votre décision.

D’autant plus grave que vous interdisez aux habitants du Pays nantais de choisir. Ceci à cause de l’incapacité des organisations internationales à faire respecter le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Cette incapacité ne sera pas d’ailleurs une fatalité éternelle.

Je n’ose croire que vous soyez tous machiavéliques, d’authentiques ennemis de la Bretagne, de son développement économique, créatif et culturel, des ennemis de l’humanité. Je n’exagère pas, puisque celle-ci a, évidemment, besoin de tous ses potentiels, et aucun ne peut être jeté à la poubelle.

Je ressens plutôt que vous ramenez cette question (des limites régionales, en ce qui concerne la Bretagne et les autres minorités nationales – Alsace, Pays basque, etc.) au bien-fondé de telle ou telle découpe de canton ou de bassin d’emploi.

Or.

Vous savez très bien, pourtant, que la Loire-Atlantique, séparée du reste de la Bretagne, a déjà perdu (par la volonté de quelques personnes) beaucoup de sa personnalité bretonne (qui était plus forte même que celle de l’Ille-et-Vilaine). C’était ce que promettait, sans le moindre doute, un Grand Ouest aux autres départements bretons.

Une Bretagne réduite aux quatre départements, c’est l’assurance que toute dynamique est fortement entravée.

Si le monde tournait très rond, si la crise n’était pas là, on pourrait croire qu’une Bretagne amoindrie s’en sortirait, bon an, mal an. Dans le contexte, un fort affaiblissement des dynamiques, sur tous les plans, signifie une condamnation.

Qu’ont fait les breton-ne-s pour être condamnés ?

Je circule beaucoup dans le monde, et d’ailleurs, beaucoup de breton-ne-s le font.

Si, par malheur, votre choix est celui que nous pouvons craindre, soyez sûrs qu’on saura partout, aujourd’hui et dans le futur, le sort qui est réservé par la France (et des responsables bretons…) à la Bretagne.

On sait que cet héritage, cette créativité n’appartiennent ni à la Bretagne, ni à tout l’hexagone, mais, avant tout, à l’humanité.

Vous n’avez pas le mandat pour en aliéner le monde. Au moins aussi grave que la destruction de mausolées ou de bouddhas, dans l’acte ou sa signification.

Bizarrement, on n’entend plus parler de «région à dimension européenne»concernant Breizh.

Je suis quelqu’un de tempérament plus optimiste que la moyenne. Mais je suis à 200% certain qu’une Bretagne à quatre (comme l’autre projet de nous noyer dans la Loire), c’est un processus qui ne sera plus inversé.

L’image de la France, déjà très écornée, va être totalement détériorée. Plus jamais ses représentants pourront se targuer présomptueusement de défendre les droits des peuples et des personnes.

Le combat de la France contre l’esprit (notamment par l’éradication progressive de toute sensibilité et pensée différente de celle de la communauté «franco-francienne»aux édiles arrogantes) est une barbarie au masque humain.

Elle perd toute crédibilité jusque dans ses combats, pourtant indispensables, contre les barbaries sanguinaires.

Une dernière fois, pensez à la honte de vos descendants, si, par malheur, votre choix a été de condamner les espoirs d’une grande majorité de breton-ne-s (plus de 70% -derniers sondages- : imaginez s’ils-elles étaient totalement informé-e-s sur la question).

Sauvez, au moins, pour eux, la possibilité de choisir sans entrave.

Ne restera, sinon, plus que l’espoir relatif d’un changement de majorité. Promouvoir vos adversaires sera une règle morale pour les breton-nes, dont la sensibilité et nos évolutions avaient fait pencher pour cette gauche modérée. J’avais participé, à ma façon, à ce basculement politique. Autre succès possible de votre action : l’ensemble du Mouvement breton, divisé par des stratégies et des positions opposées, devrait s’unifier comme il ne l’a jamais été.

Je ne peux nous croire assez masos pour persister, dans un soutien obsolète, à ce qui se révèle comme un bonapartisme hyper-nationaliste et agressif.

Je veux croire que la majorité des député-e-s breton-ne-s va prendre conscience, si elle ne l’a pas déjà fait, de toutes ces données et que je n’ai pas de raison de m’inquiéter.

Par ces mots, je n’ai voulu injurier personne. Je veux seulement qu’aucun-e député-e ne se mette lui/elle-même dans cette position lui promettant beaucoup d’insomnies.

Cordialement / A galon.

Alan Stivell

Cette lettre a également été publiée sur le site de L’AGENCE BRETAGNE PRESSE